Le pétrole albertain s’approche de l’Est
TransCanada compte acheminer par pipeline jusqu’à 850 000 barils par jour de brut vers le Québec et les Maritimes
L’arrivée au Québec du pétrole albertain issu des sables bitumineux devient de plus en plus une réalité. Après Enbridge, voici que TransCanada compte ouvrir les robinets en 2017. Le transporteur pétrolier a invité mardi les fournisseurs intéressés à soumettre leurs propositions au cours des prochaines semaines afin d’acheminer par pipeline jusqu’à 850 000 barils par jour de brut vers le Québec et les Maritimes. Du coup, les importations d’or noir étranger pourraient être considérablement réduites.
TransCanada lancera un appel de « soumissions exécutoires » le 15 avril prochain devant se terminer le 17 juin. Il s’agit de déterminer quel fournisseur voudrait faire acheminer combien de barils vers quelle raffinerie par les tuyaux de TransCanada. Le pétrole transiterait par un gazoduc de 3000 kilomètres - sous-utilisé - déjà existant entre Hardisty (Alberta) et Québec, qui serait converti en oléoduc. Il faudra par la suite construire un tronçon de 1400 kilomètres pour se rendre jusqu’à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. La longueur du tronçon et son tracé seront finalisés en fonction des soumissions reçues des fournisseurs. Le brut serait traité aux raffineries québécoises de Montréal (Suncor) et Lévis (Ultramar) et à celle de Saint-Jean.
Le ministre fédéral des Ressources naturelles, Joe Oliver, s’est réjoui de cette nouvelle. « Cela permettra à nos raffineries de transformer substantiellement plus de pétrole canadien, générera des emplois canadiens et réduira notre dépendance au pétrole étranger onéreux », a-t-il indiqué en point de presse.
La nouvelle a été accueillie avec le même enthousiasme à Saint-Jean. « Ce projet est potentiellement aussi important pour l’avenir économique du Canada que le chemin de fer l’a été pour son passé », a déclaré le premier ministre David Alward par voie de communiqué de presse. M. Alward a rencontré son homologue québécoise Pauline Marois en février pour discuter du projet. Celle-ci s’est montrée ouverte à l’idée et un groupe de travail a été mis sur pied. Québec a toutefois refusé de commenter le dossier mardi. TransCanada a déjà trois lobbyistes inscrits au registre québécois. Faire la promotion du projet annoncé mardi auprès de plusieurs ministères fait partie de leur mandat.
Rompre la dépendance
Le Canada consomme environ 2,5 millions de barils de pétrole par jour. Il en produit environ 3,5 millions. Toutefois, la disparité géographique entre lieux de production et de consommation fait en sorte que le pays importe quand même environ un million de barils chaque jour et en exporte 2 millions. On estime que 600 000 barils sont importés chaque jour dans l’est du Canada, principalement de la mer du Nord et de l’Afrique du Nord. Ce pétrole étranger arrive par navire. C’est ce qui fait dire au ministre Joe Oliver que les opposants aux pipelines ne sont pas cohérents. « Les gens ne le réalisent pas, mais des bateaux-citernes remontent le fleuve Saint-Laurent au moment où on se parle. »
Quant à l’argument de la corrosivité accrue du pétrole bitumineux albertain, qui endommagerait les vieux pipelines n’étant pas conçus pour cela, Joe Oliver le rejette du revers de la main. « Ce n’est tout simplement pas vrai. » Selon lui, les études scientifiques ont démontré que le pétrole des sables bitumineux n’est pas plus corrosif que les autres bruts.
L’auteur d’une des études du gouvernement, Sankara Papavinasam, explique au Devoir que « ce n’est pas un enjeu ». Les analyses en laboratoire, dit-il, ont permis de déterminer que la corrosivité de 13 types de pétrole différents était sensiblement la même, soit environ d’un vingtième de millimètre par année. « En dessous d’un dixième de millimètre, on estime qu’il n’y a pas de corrosion », assure le scientifique.
Le directeur de la campagne de Greenpeace, Patrick Bonin, ne partage pas cet optimisme. « Ce pipeline n’a pas été conçu pour transporter du pétrole lourd des sables bitumineux, et la soif de profit de TransCanada mettra en péril les communautés et l’environnement. Il est évident que ce projet vise à exporter les sables bitumineux. Le Québec se retrouvera alors avec tous les risques et aucun bénéfice. » M. Bonin dénonce l’appui spontané des conservateurs au projet. « Cet appui inconditionnel et immédiat, alors qu’on ne connaît pas encore les causes exactes du tout récent déversement en Arkansas, démontre à quel point le gouvernement fédéral est irresponsable. »
Une affaire d’argent
Remplacer le pétrole étranger par le pétrole canadien dans les raffineries de l’Est permettrait aux entreprises extractrices d’énergies fossiles d’engranger des bénéfices accrus. Le pétrole canadien se vend en effet moins cher que les pétroles étrangers du fait que sa mobilité est réduite par manque de pipelines. « L’escompte peut représenter de 35 à 40 $ le baril », soutient Joseph Doucet, économiste spécialisé en politique énergétique à l’Université d’Alberta. C’est la raison pour laquelle les producteurs albertains cherchent frénétiquement des débouchés, avec les projets de nouveaux pipelines vers l’Ouest (Northern Gateway), le Sud (Keystone XL) et l’Est (avec le renversement du flux du pipeline 9B entre Sarnia et Montréal proposé par Enbridge). Les deux dernières raffineries du Québec misent pour le moment sur la ligne 9B afin de remplacer une bonne partie de leurs importations.
Jean-Thomas Bernard, professeur au Département de science économique de l’Université d’Ottawa, prédit que le projet de TransCanada alimentera surtout en brut la raffinerie de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick. Une partie du pétrole albertain pourrait toutefois prendre la route de raffineries de la côte est américaine, voire du Texas, par bateau. Il juge d’ailleurs peu probable la construction d’un nouveau tronçon entre Québec et les Maritimes. Selon lui, TransCanada devrait plutôt utiliser des pétroliers à partir de Québec.
Le Nouveau Parti démocratique s’est dit heureux de ce déblocage. Le critique en matière d’énergie et de ressources naturelles, le député Peter Julian, estime que cela est mieux que l’exportation du brut canadien, car les emplois resteront au pays. M. Julian note toutefois que le « consentement social » est plus difficile à obtenir pour ces projets depuis que le gouvernement conservateur a dilué les règles environnementales.
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