jeudi 13 octobre 2011

Keystone XL : une analyse du journal Le Monde

Keystone XL : l’oléoduc qui éclabousse la Maison Blanche

Il est devenu la bête noire des écolos américains : le projet d'oléoduc Keystone XL, qui permettrait d'acheminer chaque semaine des millions de barils de pétrole du Canada vers le golfe du Mexique, soulève des questions économiques, environnementales et, depuis quelques jours, éthiques, alors que le sujet est en train d'ébranler la Maison Blanche.

Qu’est-ce que Keystone XL ?

Le KXL, de son petit nom, c’est un projet d’oléoduc géant entre le Canada et les Etats-Unis. Il aurait pour objectif d’acheminer environ un million de barils de pétrole brut par jour entre l'Alberta et les raffineries du Texas, soit un parcours de 2 700 km. Il prolongerait ainsi le pipeline Keystone qui, lui, existe depuis juin 2010 entre l'Alberta et l'Illinois. Le projet, d’un coût estimé à 7 milliards de dollars, est porté par le consortium TransCanada et verrait le jour en 2013 s'il est mené à terme.

Que reproche-t-on au projet ?

Les associations écologistes mais aussi des groupes de riverains craignent l'impact sur le paysage, notamment la destruction d’une partie de la forêt boréale canadienne, et les risques de contamination du fait de fuites. Mais surtout, ils dénoncent une pollution de plus grande ampleur à venir, car le pétrole de cet oléoduc serait puisé au Canada dans les sables bitumineux, ces poches de pétrole visqueux et lourd, dontl'exploitation est coûteuse et très polluante.

En face, les défenseurs du projet, notamment les Républicains, font miroiter la création de 20 000 postes dans la construction, ainsi que plus de 100 000 emplois indirects. Mais une étude de l'université américaine Cornell, rendue publique fin septembre, estime plutôt l'apport à 5 000 emplois directs, en se basant sur les données fournies par TransCanada. Ce que confirme le New York Times, dans un édito qui appelle à refuser le Keystone XL.

Pourquoi fait-il scandale aujourd’hui ?

Le Keystone XL suscite craintes et oppositions depuis son lancement — en 2005 pour le tronçon existant et en 2008 pour le projet de prolongement. Mais depuis une semaine, le projet a pris un tour bien plus polémique et médiatisé, éclaboussant tant le promoteur canadien que le lobby pétrolier dans son ensemble et surtout le gouvernement américain, accusé d’être juge et partie dans l’affaire.

Le projet d’oléoduc traversant une frontière, c'est le département d'Etat américain qui a été chargé de l'enquête d'utilité publique. Or, le ministère dirigé par Hillary Clinton est accusé par plusieurs associations écologistes, notamment les Amis de la Terre, d'aider et d'encourager TransCanada, lors du processus d'approbation du projet. Pour preuve de cette corruption, des emails ont été révélés au grand jour, au titre de la loi sur l'accès à l'information aux Etats-Unis, mettant en lumière les liens pour le moins étroits entre des lobbyistes de l'oléoduc et des fonctionnaires américains chargés étudier le projet.

Un homme en particulier ressort de ces échanges : l’Américain Paul Elliott, employé par le consortium pour faire du lobbying en faveur du projet, à raison d’une grasse rémunération de 310 000 dollars. Or, ce même Elliott a fait partie de l’équipe de campagne d’Hillary Clinton pour l'investiture démocrate en 2008, ainsi que pour ses campagnes sénatoriales en 1996 et 2000. Dans un mail, une diplomate de l'ambassade des Etats-Unis à Ottawa, Marja Verloop, le félicite d'avoir obtenu l'appui de l'influent sénateur du Montana, Max Baucus. Dans un autre courriel, elle discute de la performance du président de TransCanada lors d'une rencontre avec des élus influents du gouvernement américain.

Selon les associations, Elliott n’est pas le seul. Le site DeSmogBlog, spécialisé dans les conflits d’intérêts au sein des politiques environnementales, a ainsi identifié sept autres lobbyistes de TransCanada ayant des liens proches avec la secrétaire d’Etat et le président Barack Obama, remontant à leurs campagnes électorales. Au total, le consortium a déboursé 2 millions de dollars en honoraires de lobbying depuis 2009. Alors que l’administration américaine nie en bloc, pour TransCanada, il ne s’agit rien de plus que le business classique des entreprises faisant des affaires aux Etats-Unis.

Quelle pourrait être l’issue des tractations ?

Vendredi, s’est tenue la dernière consultation publique américaine, dans uneambiance très agitée. Les militants écologistes, amèrement déçus ces derniers temps par l’abandon d’Obama devant les lobbys industriels sur des sujets écologiques majeurs, sont plus que jamais déterminés à mettre des bâtons dans les roues de Keystone. "Une pression durable venant du terrain est nécessaire pour forcer l'intervention du président Obama", déclarait à l’issue de la réunion Erich Pica, président des Amis de la terre.

L'administration Obama devrait se prononcer d'ici trois semaines. Il y a quelques mois à peine, les observateurs s’entendaient sur un feu vert de Washington, étant donné l'appui unanime des Américains à la réduction de la dépendance énergétique envers les pays du golfe Persique. Mais ces révélations, ainsi que les critiques qui se multiplient sur les atteintes à l’environnement du pétrole tiré des sables bitumineux, pourraient changer la donne.

Photos : Eric Hylden/AP, Mark Ralston/AFP


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire