Libre opinion - Sécurité énergétique au Canada: un problème récurrent
Michel Lauzon - Professeur de science politique, Collège Montmorency 23 août 2010 Actualités économiques
source web :http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/294815/libre-opinion-securite-energetique-au-canada-un-probleme-recurrent
Cet été, deux événements ont fait les manchettes et ont mis en relief la notion de sécurité énergétique du Canada. La fermeture de la raffinerie de Shell à Montréal et la pénurie d'essence dans certaines stations-services de l'Alberta.
Bien que le Canada soit un exportateur net de pétrole, ces situations nous amènent à nous questionner sur la sécurité énergétique du Canada.
Le problème n'est pas nouveau. Le Canada a vécu les mêmes questionnements dans les années 1970 avec les deux chocs pétroliers (1973 et 1979). Toujours à la merci des pays producteurs de pétrole de l'OPEP, le gouvernement Trudeau a proposé plusieurs solutions afin de promouvoir l'autosoffisance pétrolière canadienne et ainsi sécuriser l'approvisionnement énergétique du Canada.
Première solution: le contrôle des prix par l'État
À partir de 1973, les prix du baril de pétrole de l'OPEP sont en ascension. En septembre 1973, afin de protéger les consommateurs de hausses brusques des prix du pétrole, les gouvernements canadien et américain décident de geler le prix du baril de pétrole produit sur leurs territoires (local) à 3,80 $. En octobre 1973, en quelques semaines, le baril de brut extérieur passe de 3,50 $ à 11 $.
Il faut savoir que, depuis la commission Borden de 1957, il avait été décidé par le gouvernement canadien que tous les territoires à l'ouest de la rivière des Outaouais devaient s'approvisionner avec le pétrole local et que les provinces à l'est de la rivière devaient s'approvisionner avec le pétrole extérieur. C'est la rivière des Outaouais qui devient la ligne de démarcation, ce que l'on appelait «la ligne Borden».
Comme les prix du marché mondial ne cessaient d'augmenter, les provinces de l'est du pays, suivant la ligne Borden, se trouvaient à payer beaucoup plus cher leurs produits pétroliers. Un écart considérable s'était créé entre les prix contrôlés de l'État et le prix du marché mondial. À partir de 1974, le gouvernement canadien a décidé d'indemniser les importateurs de brut de l'est du pays. Les raffineries de l'est du Canada ainsi que les consommateurs du Québec et des maritimes n'étaient plus défavorisés par rapport aux Canadiens à l'ouest de la ligne Borden.
Deuxième solution: le pipeline
Sarnia-Montréal
Afin de diminuer la dépendance de l'est du Canada au pétrole extérieur, l'objectif du gouvernement Trudeau était de distribuer du pétrole albertain à Montréal. Ainsi, Trudeau décida de prolonger le pipeline de l'ouest qui s'arrêtait à Sarnia (Ontario), jusqu'à Montréal. En 1975, le pétrole albertain était raffiné à Montréal.
Troisième solution: la création de Pétro-Canada
Le gouvernement canadien commençait à prendre prise sur sa ressource fossile. En 1975, afin de donner au Canada le pouvoir d'intervenir de l'intérieur de l'industrie pétrolière, le gouvernement de Trudeau va créer une société nationale du nom de Pétro-Canada. Ainsi, Pétro-Canada devient raffineur et distributeur.
En 1979 (crise iranienne), lorsque la compagnie Esso décidait de détourner un pétrolier en direction du Canada pour privilégier les besoins américains, on octroyait à Pétro-Canada l'entière responsabilité des approvisionnements en pétrole importé pour les raffineries canadiennes (Loi C-42).
Quatrième solution: le programme énergétique national de 1980
En octobre 1980, Trudeau met en marche le Programme énergétique national (PEN). Ce programme annonce la nationalisation partielle du pétrole canadien. Il impose, en outre, des mesures comme l'appropriation canadienne de 25 % des intérêts dans tout droit d'exploration, une participation canadienne d'au moins 50 % (publique ou privée) obligatoire dans toute production sur le territoire canadien et une redevance additionnelle pour les compagnies privées.
Avec le PEN, le Canada prend le contrôle de sa ressource au détriment des compagnies privées.
Quand les protections volent en éclats
L'ensemble des gestes faits par Trudeau a eu des impacts retentissants. Il est certain que les producteurs de l'ouest n'ont pas apprécié la politique de contrôle des prix du pétrole local. Vendu au prix international, le baril aurait été encore plus payant. Cependant, il a permis le développement des infrastructures pétrolières canadiennes.
Dans les années 1980, la récession, le coût très faible du baril de pétrole (10 $) et la rancoeur des multinationales pétrolières fragiliseront le secteur pétrolier canadien. Il n'en faudra pas plus pour que le gouvernement de Brian Mulroney (1984), mû par une idéologie de libre marché, décide de privatiser partiellement Pétro-Canada. La privatisation complète de la compagnie est achevée sous la gouverne de deux premiers ministres libéraux: Jean Chrétien et Paul Martin.
Dans une dynamique où deux acteurs s'opposent pour le contrôle de la ressource — les multinationales avec pour seul objectif la recherche du profit et l'État canadien qui poursuit des objectifs de bien-être de ces citoyens, de la rentabilité de l'État et de la sécurité énergétique —, les multinationales sortent grandes gagnantes.
L'ensemble des protections, des pare-feux et des gestes faits par Trudeau afin de conquérir et maintenir le contrôle de la ressource par le Canada a volé en éclats. Les entreprises privées ont repris le pouvoir sur l'État canadien.
De plus, avec l'Accord du libre-échange conclu par Mulroney en 1988 et l'ALENA signé en 1994 sous Chrétien, aujourd'hui, plus que jamais, la sécurité énergétique du Canada est fragilisée.
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Michel Lauzon - Professeur de science politique, Collège Montmorency
Bien que le Canada soit un exportateur net de pétrole, ces situations nous amènent à nous questionner sur la sécurité énergétique du Canada.
Le problème n'est pas nouveau. Le Canada a vécu les mêmes questionnements dans les années 1970 avec les deux chocs pétroliers (1973 et 1979). Toujours à la merci des pays producteurs de pétrole de l'OPEP, le gouvernement Trudeau a proposé plusieurs solutions afin de promouvoir l'autosoffisance pétrolière canadienne et ainsi sécuriser l'approvisionnement énergétique du Canada.
Première solution: le contrôle des prix par l'État
À partir de 1973, les prix du baril de pétrole de l'OPEP sont en ascension. En septembre 1973, afin de protéger les consommateurs de hausses brusques des prix du pétrole, les gouvernements canadien et américain décident de geler le prix du baril de pétrole produit sur leurs territoires (local) à 3,80 $. En octobre 1973, en quelques semaines, le baril de brut extérieur passe de 3,50 $ à 11 $.
Il faut savoir que, depuis la commission Borden de 1957, il avait été décidé par le gouvernement canadien que tous les territoires à l'ouest de la rivière des Outaouais devaient s'approvisionner avec le pétrole local et que les provinces à l'est de la rivière devaient s'approvisionner avec le pétrole extérieur. C'est la rivière des Outaouais qui devient la ligne de démarcation, ce que l'on appelait «la ligne Borden».
Comme les prix du marché mondial ne cessaient d'augmenter, les provinces de l'est du pays, suivant la ligne Borden, se trouvaient à payer beaucoup plus cher leurs produits pétroliers. Un écart considérable s'était créé entre les prix contrôlés de l'État et le prix du marché mondial. À partir de 1974, le gouvernement canadien a décidé d'indemniser les importateurs de brut de l'est du pays. Les raffineries de l'est du Canada ainsi que les consommateurs du Québec et des maritimes n'étaient plus défavorisés par rapport aux Canadiens à l'ouest de la ligne Borden.
Deuxième solution: le pipeline
Sarnia-Montréal
Afin de diminuer la dépendance de l'est du Canada au pétrole extérieur, l'objectif du gouvernement Trudeau était de distribuer du pétrole albertain à Montréal. Ainsi, Trudeau décida de prolonger le pipeline de l'ouest qui s'arrêtait à Sarnia (Ontario), jusqu'à Montréal. En 1975, le pétrole albertain était raffiné à Montréal.
Troisième solution: la création de Pétro-Canada
Le gouvernement canadien commençait à prendre prise sur sa ressource fossile. En 1975, afin de donner au Canada le pouvoir d'intervenir de l'intérieur de l'industrie pétrolière, le gouvernement de Trudeau va créer une société nationale du nom de Pétro-Canada. Ainsi, Pétro-Canada devient raffineur et distributeur.
En 1979 (crise iranienne), lorsque la compagnie Esso décidait de détourner un pétrolier en direction du Canada pour privilégier les besoins américains, on octroyait à Pétro-Canada l'entière responsabilité des approvisionnements en pétrole importé pour les raffineries canadiennes (Loi C-42).
Quatrième solution: le programme énergétique national de 1980
En octobre 1980, Trudeau met en marche le Programme énergétique national (PEN). Ce programme annonce la nationalisation partielle du pétrole canadien. Il impose, en outre, des mesures comme l'appropriation canadienne de 25 % des intérêts dans tout droit d'exploration, une participation canadienne d'au moins 50 % (publique ou privée) obligatoire dans toute production sur le territoire canadien et une redevance additionnelle pour les compagnies privées.
Avec le PEN, le Canada prend le contrôle de sa ressource au détriment des compagnies privées.
Quand les protections volent en éclats
L'ensemble des gestes faits par Trudeau a eu des impacts retentissants. Il est certain que les producteurs de l'ouest n'ont pas apprécié la politique de contrôle des prix du pétrole local. Vendu au prix international, le baril aurait été encore plus payant. Cependant, il a permis le développement des infrastructures pétrolières canadiennes.
Dans les années 1980, la récession, le coût très faible du baril de pétrole (10 $) et la rancoeur des multinationales pétrolières fragiliseront le secteur pétrolier canadien. Il n'en faudra pas plus pour que le gouvernement de Brian Mulroney (1984), mû par une idéologie de libre marché, décide de privatiser partiellement Pétro-Canada. La privatisation complète de la compagnie est achevée sous la gouverne de deux premiers ministres libéraux: Jean Chrétien et Paul Martin.
Dans une dynamique où deux acteurs s'opposent pour le contrôle de la ressource — les multinationales avec pour seul objectif la recherche du profit et l'État canadien qui poursuit des objectifs de bien-être de ces citoyens, de la rentabilité de l'État et de la sécurité énergétique —, les multinationales sortent grandes gagnantes.
L'ensemble des protections, des pare-feux et des gestes faits par Trudeau afin de conquérir et maintenir le contrôle de la ressource par le Canada a volé en éclats. Les entreprises privées ont repris le pouvoir sur l'État canadien.
De plus, avec l'Accord du libre-échange conclu par Mulroney en 1988 et l'ALENA signé en 1994 sous Chrétien, aujourd'hui, plus que jamais, la sécurité énergétique du Canada est fragilisée.
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Michel Lauzon - Professeur de science politique, Collège Montmorency
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